« Miss Faust, rentrez et fermez cette fenêtre je vous prie, vous allez attrapper du mal ... »

D'un air absent et avec une lenteur à impatienter un escargot terrien, je me levais de la chaise posée sur mon balcon depuis laquelle j'observais la lever du soleil dans la matinée fraîche et obéissais à l’injonction de ma dame de chambre, rentrant à l’intérieur et fermant la fenêtre. Je ne savais quel était cette étrange sensation en moi, je me sentais vidée de mes forces, comme très affaiblie. Pourtant, à ce que je sache, je n'étais pas malade. Et avec toutes les vérifications que j'imposais, un empoisonnement n'était pas à redouter non plus. Je n'aurais su dire pourquoi, mais j'étais las. Je devais changer d'air. J’étais encore en chemise de nuit en train de me faire coiffer lorsque mon père entra. Il n’était certes pas tard, mais je le vis lever un sourcil étonné. Dans ma molle langueur, aurais-je donc oublié quelque chose d’important ? Mon père referma la porte de ma chambre et alla examiner divers objets sur la cheminée, me tournant le dos et enjoignant la demoiselle présente à mes côtés de se presser de me préparer. Ainsi, pendant que je me transformais en poupée vivante à devoir enfiler des vêtements certes magnifiques que beaucoup de jeunes femmes m’envieraient mais qui m’étouffaient aussi à moitié (je n’ai jamais compris l’intérêt que pouvait avoir le fait d’avoir des robes très serrées : certes ça fait ressortir les formes et, quand on est bien faite, ça plait aux hommes, mais c’est aussi extrêmement gênant ...), pendant ce temps donc, mon père blablatait, comme à son habitude, sur le fait qu’il était intolérable que j’ai pu oublier un tel événement.

Un événement ? Le mot faisait tilt, mais l’image ou le souvenir ne venait pas. Mince alors, je n’avais pourtant pas bu hier soir que je sache ... Ce ne fut que lorsqu’il prononça la destination que tout me revint. Enfin, tout sauf la motivation, le peu qu’il me restait s’en alla d’un seul coup. Aujourd’hui avait lieu l’inauguration de l’exposition d’un peintre célèbre, encore prometteur et surtout riche. Très très riche. Aussi était-il de notre devoir en tant que famille royale, d’y être présents. En général, toute la famille ne faisait pas le déplacement, c’était un peu « à tour de rôle », et là, c’était tombé sur nous. Pauvre de moi. Rien ne me déplaisait plus que d’aller observer des toiles au sens abstrait et de me faire baratiner des heures sur ce que représentait cette branche ou encore cet oiseau. Surtout qu’avec la robe qu’on m’avait collée sur le dos, j’était pratiquement certaine que ce n’étaient pas mes yeux qu’il allait regarder, et que ma conversation ne serait pas vraiment la raison pour laquelle il viendrait me voir. Enfin je commençais à être habituée des manigances dans lesquelles on me plongeait. Il était certains qu’avoir la cote auprès du peintre entrainerait des retombées bénéfiques sur ma famille, alors ... Autant me prêter au jeu.

A l’heure du départ, j’étais prête. Je suffoquais légèrement, comme à chaque fois, mais j’avais au moins réussit à choisir des chaussures à ma taille et confortables. Pour le temps que j’allais devoir passer debout à sourire ... En bas, aux portes du château, notre véhicule nous attendait, et nous partîmes immédiatement en direction de la Rue Rose.

Arrivés à destination (nous étions seuls, mon père et moi. Ma mère était restée au château pour se reposer comme bien des jours et personne d’autre n’avait tenu à nous accompagner), nous descendîmes du véhicule, qui repartit aussitôt. Sans doute avait-il une autre course à faire. Peu importait, à vrai dire, cela ne me concernait plus. En temps normal j’aurais voulu savoir, espionné, mais aujourd’hui, étrangement ... non.

L’inauguration fut aussi pompeuse et ennuyeuse que prévue, et peu de temps après le début de sortais. Le bruit était trop intense, les lumières trop fortes, les odeurs trop intenses. Tout était en excès. Les flatteries aussi, et cela me dégoutait plus qu’autre chose. Si je voulais rester digne, il fallait que je prenne l’air. J’avais prétexté un coup de chaleur, ce qui n’était pas forcément faux, pour m’éclipser. Alors qu’un mystérieux inconnu de la salle sortait aussi dehors, je me retournais vers lui. Je n’eus cependant pas le temps de bien le voir qu’une silhouette encapuchonnée passait en courant entre nous deux en me poussant -involontairement ? j’avoue que le doute était permis- sur la route. Je tournais la tête et ne put voir qu’une moto me fonçant dessus à une vitesse impressionnante. Elle était trop près, trop rapide, je ne pouvais rien faire, et surtout pas avec mes réflexes fortement diminués. Jamais je n’arriverais à me jeter sur le côté à temps. Restait à espérer que mon poursuivant avait de meilleurs réflexes que moi, ou que le conducteur fou avait de bons freins ...

Et aussi que j’aie beaucoup de chance ...

Il est étrange de voir à quel point les mythes peuvent être faux. A mesure que la moto se rapprochait de moi, le temps semblait effectivement ralentir, mais je ne voyais pas ma vie défiler. Je ne le regrettais absolument pas. Qu’aurais-je donc pu regretter ? L’accident de mes parents ? Mon accession au trône ratée ? Les hypocrisies quotidiennes et les coups bas ? Non, rien ne me manquait. Je n’avais pas même un vide sentimental ... C’était dire si ma vie avait été intéressante. A vrai dire, la seule pensée qui me traversa fut « Si j’avais découvert l’immortalité, j’aurais survécu. Dommage. »
J’attendis. La moto avançait, et mon poursuivant n’avait apparemment pas l’intention de m’aider. Tous des pourris, je le savais. Une mort ne leur ferait rien. Il n’aurait qu’à prétexter avec une mine horrifiée qu’il était arrivé trop tard, et tout passerait. Personne ne me pleurerait. Mes parents, peut-être, un temps. Ou du moins mon père, ma mère ayant oublié qu’elle avait une fille. Matthew serait sans doute déçu d’avoir perdu son pantin, mais il en trouverait bien un autre.

Dite comme ça, ma vie semble sans doute un peu triste, mais pourtant je ne regrettais rien. Elle avait été telle que je la voulais, et rien ne me manquait. Je souris un instant. Loki serait débarrassé d’une bien grande gêne avec moi, même si je ne devais être qu’une épine dans son pied, c’était toujours ça de moins. D’ailleurs il était possible que le malhabile coureur fût un Chevalier déguisé. Qui savait ? Je me prenais sans doute la tête, et décidait de parier sur la malchance. D’ignorer cet inconnu, de le considérer comme quelqu’un de pressé et dans la lune. Pour ce que cela changerait au final ...

Mais il faut croire que la Mort avec sa grande Faux, ou quelle que puisse être la personne qui s’occupe de nos âmes sur Khalis, ne voulait pas de moi pour l’instant. La moto dévia au dernier instant et s’arrêta peu derrière moi. Etonnée, je regardais le pilote. Une femme d’une vingtaine d’années, des cheveux bruns, assez banale en somme. Seules ses lunettes la rendaient reconnaissable entre mille, et sa moto également. Mais pour l’heure, je devais m’occuper de l’homme qui faisait semblant d’être choqué, courant vers moi pour s’enquérir de ma santé de façon, je n’en doutais pas, très honnête ...

« Je vais bien, je vous remercie ... Tout comme je vous remercie de m’avoir aidé lorsque vous le pouviez ... »

Je lui chuchotais alors qu’il valait mieux pour lui déguerpir avant que je n’apprenne son nom, ou bien il pourrait compter sur des représailles pour non assistance à personne royale en danger. Et lorsqu’il s’agissait de me venger, je savais toujours bien faire les choses. Bien sûr, Les chevaliers avaient d’autres préoccupations que s’occuper de lui pour mon compte (Loki ne le permettrait jamais ...) mais mes chimères et quelques mercenaires me trouveraient sans doute un bon cobaye très facilement ... Ce qu’il n’était pas obligé de savoir. Il s’inclina avec un sourire amer et disparut. Tant mieux, cela me laissait seule avec cette jeune fille, et je ne souhaitais pas que quelqu’un d’autre me voient avec elle. Sans doute vous demandez-vous comment je la connais. Ce fut par un certain hasard, en fait. Et certainement pas dans le quartier Némésis où je ne mets pratiquement jamais les pieds, sauf pour affaire. A vrai dire, ce fut dans une zone isolée des quartiers bas. Je cherchais un cobaye pour une expérimentation sur les résistances aux chocs plus ou moins violents (note : reprendre cette expérience plus tard et la terminer, histoire de survivre au prochain accident que j’aurai ...) et je suis tombée sur une personne assise tranquillement à une table, des lunettes sur les yeux et une moto pas très loin, un verre à la main. Je dois bien avouer que j’avais été intriguée. Je lui avais proposé de devenir testeuse. Je la pensais aveugle à vrai dire, avec ces lunettes et en réalité elle ne l’était pas et avait donc en toute logique refusé dès qu’elle avait compris, sans doute en me voyant la dévisager, que le taux de survie à ces tests avoisinait la nullité. Nous avions discuté en plutôt bons termes (pas rancunière pour un sou, la demoiselle) et elle m’avait appris qu’elle était designeuse. Encore peu connue, je l’avais conseillée à quelques unes de mes connaissances et elle avait rapidement grandi en notoriété. De temps en temps, elle me rendait quelques petits services, par exemples en me faisant quelques courses, que je payais mais qu’elle m’amenait. Et le contenu de ces commissions ne vous regarde pas ...

Elle s’approcha de moi et s’inclina avant de prendre la parole.

« Pardonnez-moi cette frayeur, je n'aurais jamais cru que quelqu'un puisse vous pousser sur mon chemin. »

Je ris un instant, puis la saluait d’un mouvement de tête avant de lui répondre.

« A vrai dire, moi non plus je ne l’aurais pas cru. Mais heureusement, je suis tombée sous vos roues et pas sous celles d’un autre ... Une chance, sinon c’en était fini de moi. Si vous avez un enregistrement, je le prendrai volontiers pour l’étudier et retrouver le coupable ... »

Un temps, puis je continuais.

« Et sinon, comment vous portez-vous depuis le temps ? »

Cela devait faire un petit mois que ne l’avais contactée, et elle avait l’air d’aller plutôt bien, mais bon ... Une manière simple de lancer la conversation, sans doute. Et puis, en un sens, une discussion banale restait le meilleur moyen de calmer les battements de mon cœur qui mettait un certain temps à se remettre de l’expérience, même si par habitude, le masque de normalité restait intact sur mon visage.

Coban Jaldeïde (puisque c’était son nom) accepta de me passer la video plus tard lorsqu’elle l’aurait extraite de son support. Sans doute devait-elle en vouloir à celui qui aurait pu la compromettre. Ce n’était pas une mauvaise chose, ça me facilitait bien la vie qu’elle coopère. Je n’aurais pas apprécié de devoir forcer sa porte pour lui arracher la cassette. Oui, il y a des limites à la bonne entente partout ... Surtout lorsqu’une vie est mise en jeu.

« Et bien tout roule pour moi, si je puis dire. Je compte faire bientôt une petite expédition en dehors de la ville, juste pour tester le tout terrain de ma moto et voir pour en améliorer la vitesse. Passionnant n'est-ce pas ? »

A vrai dire, oui, ça l’était. Un petit peu, tout du moins. Si jamais elle arrivait à sortir de la ville et à revenir vivante avec sa moto, cela serait un bon signe pour moi. Je pourrais lui demander de faire quelques sorties pour me trouver des produits à l’extérieur de la ville, après tout ... Rien ne disait qu’elle accepterait, certes, mais rien ne disait non plus que ça ne serait pas possible. Et tant que la probabilité n’atteint pas 0, l’événement peut toujours se produire ... Et je restais assez optimiste sur ce coup là. Et puis, même si elle n’acceptait pas, je ne perdais pas grand-chose ... quelques axias, tout au plus.

« Et vous ? Le château est toujours aussi lassant ? »

Malheureusement oui. La vie était continuellement la même : se lever, sourire, trainer dans le château, sourire encore, participer aux réunions de salons, sourire, médire sur celles qui ne sont pas présentes, sourire encore et toujours, aller se coucher. Recommencer le lendemain. Le tout ponctué de quelques petits scandales affectueusement réservés par certains d’entre nous n’ayant pas peur des représailles ou suffisamment bien protégés pour que ce soit l’autre qui tombe et non pas eux. Habile. La vie se faisait au rythme de ces petites affaires, des alliances, des trahisons ... Rien de bien intéressant en somme, sauf pour les journaux à potins qui passionnaient les ménagères des basses classes pour je ne savais quelle raison.

« L’animation vient comme elle repart. Un jour c’est la fête, le lendemain tout est mort et désolé. Mais récemment, j’ai trouvé quelques petites occupations ... »

Et je n’allais certainement pas lui dire que depuis que j’avais été au ministère de la Recherche je concentrais mes recherches sur certaines idées qui m’étaient venues là-bas. Je n’avais peut-être pas le droit de dire ce que j’avais vu ou entendu là-bas, mais rien ne m’empêchait de l’utiliser ... Enfin à priori. Si un jour Matthew débarquait dans mon laboratoire, ce serait tout de même mauvais signe, mais je crois que je lui remettrais tout sans broncher. La vie est suffisamment courte pour ne pas chercher à la perdre inutilement et de manière idiote.

Quand on parle d’idioties ... Alors que nous parlions, je vis du coin de l’œil un homme rentrer dans la galerie de peinture. Il avait l’air tourmenté, et l’aspect bien trop négligé pour avoir été invité. Mauvais plan pour moi de rentrer tout de suite ... Je restais donc à papoter jusqu’à ... l’explosion. Un « boum ! » retentissant qui fit voler en éclat les vitres de la façade et nous obligea, Coban et moi, à nous protéger du souffle de l’explosion. Après un instant de suspens durant lequel je me dis que décidément ce jour-là, tout avait été fait pour me faire regretter d’être sortie, je courais jusqu’au lieu du désastre.

« Père ! Père où êtes-vous, répondez ! »

Plus le temps passait, plus l’angoisse me serrait le cœur ... Pitié qu’il ne lui soit rien arrivé ...

Plus de peur que de mal, heureusement. Je trouvais mon père pas trop loin avec seulement quelques coupures superficielles. Il faudra qu’un médecin voie cela tout de même. Cela annulait ma discussion avec Coban : je devais rentrer au plus vite au château. Et prévenir les autorités de l’explosion afin qu’ils recherchent l’homme qui avait fait exploser l’engin. Encore que s’il l’avait fait exploser à côté de lui, je ne donnais pas cher de sa peau. Mais enfin mince ! Pourquoi avait-il fait ça ? Un de ces rebelles dont les rumeurs parlaient ? J’avais quelques doutes, mais si nous avions bien affaire à un attentat suicide, il y avait beaucoup de chances que ce soit cela.

J’étais encore agenouillée aux côtés de mon père lorsque Coban arriva avec un engin dans les mains. Un R-Bomb. Oui, ça ne m’avançait pas plus que ça. Le niveau non plus en fait. Mais si elle s’y connaissait sur cet instrument c’était donc nécessairement qu’il était Némésis. Les armements Adratée auraient été connus de moi seule et les Shivera ... Inconnus au bataillon. Mais s’il s’agissait bien d’un rebelle, soit il appartenait au Clan Némésis, ce dont je doutais, soit la contrebande se portait affreusement bien ... Dans tous les cas un Némésis était impliqué, et ça, c’était mauvais pour eux. Je me retournais vers Coban.

« Nous finirons notre discussion plus tard, je suis désolée. Mon père nécessite des soins et je dois l’y emmener au plus vite. De plus il faut que je prévienne les autorités de ce qu’il s’est passé ici. Nous nous reverrons une prochaine fois. »

Je souriais, et aidais mon père à se relever. Bon, s’il pouvait faire ça c’est qu’il n’était pas trop amoché. Je l’aidais à sortir et arrêtais un véhicule. Au moment de rentrer à mon tour dedans, je me retournais une dernière fois vers Coban pour lui signaler que j’en profiterais pour appeler les médecins également, mais que si elle en trouvait dans le coin, qu’elle leur demande de commencer les soins. Après tout, tous les blessés ne s’en sortaient pas aussi bien que mon paternel ...

Avec toute cette agitation, la fin de la journée arriva bien plus tôt que prévue, et bien plus tard que souhaitée. Mais les investigations avaient commencées, mon père avait quelques bandages mais était indemne, seul moi me demandait toujours si les deux événements de la journée (la bousculade et l’explosion) étaient liés ou bien si ce n’était que de la paranoïa involontaire ...

Allez savoir si j’aurai jamais une réponse ...